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23. Le Navire Avenir : une tout autre œuvre d'art contemporain





La singularité de cette œuvre n'est pas dans sa facture, cette composition d'aciers et de droits, de langues et d'ingénierie, d'images, de toiles, de voiles  : cette pluridisciplinarité radicale est le fait du cinéma et du théâtre, de la danse comme de l'opéra, de bien des installations et performances. Ici comme là : des sons, des drapés, des lumières, des objets, des textes, des couleurs, des gestes parfois et du droit toujours.


La singularité de cette œuvre n'est pas davantage dans le processus participatif présidant à son existence, processus certes fondamental tant paroles et visions des rescapés notamment font une part cruciale de son dessin, mais aucunement inédit et fatalement insuffisant : les « premiers concernés », comme on a coutume de les nommer lorsqu'on aborde cette question de la participation au geste de création, nous n'en connaissons qu'une infime part, puisque cette œuvre sera éprouvée par celles et ceux qui demain s'élanceront en mer Méditerranée, et qui ne le savent sans doute même pas encore aujourd'hui, et par nos enfants et les enfants de nos enfants qui dans bien d'autres mers du monde auront à traverser, fuyant un rivage et rêvant d'un autre.


Comme nous le défendons depuis sa toute première description au Centre Pompidou-Metz en septembre 2021, la singularité de cette œuvre réside dans son mode d'existence, dans sa relation effective à ce monde où l'on fuit et rêve, en ce début du 21e siècle où il n'est plus possible d'esquiver la question de l'efficacité du geste de création. La mort à nos frontières n'est pas le thème, le sujet, l'objet de cette œuvre qui comme mille autres aurait pu vouloir sensibiliser, éveiller, bousculer afin qu'actions renouvelées en adviennent, supposément. C'est l'action elle-même, pour sauver les vies se risquant à nos frontières, qui fait la matière précise de cette œuvre. C'est l'action elle-même qui déterminera le degré de sa splendeur.


Le Navire Avenir ne dit pas la plainte, la colère, la douleur ou l'indignation, mais affirme qu'il peut en être tout autrement que le désastre que nous connaissons. Le Navire Avenir ne s'entend pas comme un projet de dénonciation bruyante des violences incessantes, des programmes politiques organisant le crime à nos frontières, mais il consiste en le projet d'une énonciation puissante de tout ce qui fait tenir notre humanité aujourd'hui-même, des gestes de sauvetage et de soin en haute mer en particulier, en vue de les faire tenir mieux, et retentir et grandir infiniment. Suivant l'hypothèse que l'irrespirable est dans les politiques contemporaines comme dans le ressassement jusqu'à épuisement  – par l'artiste, le militant, l'engagé – de tout ce qui en elles nous asphyxie. Suivant l'hypothèse que c'est à soutenir ce à quoi nous tenons au présent qu'il nous faut nous employer, et ce avec une vigueur et une application folles, pour qu'adviennent de tout autres politiques, respirables enfin. C'est aussi cette perspective renversée qui singularise cette œuvre qu'est le Navire Avenir : réjouissante et non accablante, conçue avec la ferme intention de répondre à la question "qu'est-ce qu'on met de beau entre nous ?".


C'est ce "really-made" exactement que déclarent soutenir soixante institutions culturelles européennes dans la tribune titrée "Nous sommes le rivage", et publiée le 15 octobre dernier dans les pages du journal "Le Monde". C'est ce souffle précis, la vocation respiratoire de cette œuvre agissante, qui fait notamment la corne de brume du Navire Avenir, cette sirène inouïe que nous créons et créerons d'assemblée en assemblée. Comme à la Maison de la Poésie le 12 décembre. Comme à la Comédie de Reims, le 4 février, où une part de ce qui retentira en haute mer s'est fait, comme par anticipation, magnifiquement entendre.



bâtissons l'Avenir ensemble : www.navireavenir.eu

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