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41. Note à Monsieur le Préfet de Mayotte. En vue de la publication d'un arrêté d'interdiction de la vente de tôles ondulées aux personnes migrantes




Le texte qui suit est une fiction : aucun membre du cabinet du Préfet de Mayotte ne l'a réellement rédigé. Ce texte est néanmoins un document tant ce dont il est composé a, d'une manière ou d'une autre, été formulé, pensé, articulé ces jours derniers par des hauts-fonctionnaires puisque le Préfet de Mayotte a réellement osé la publication d'un tel arrêté samedi 4 janvier, annoncé par tweet vendredi 3 janvier.



Il convient, par arrêté, de faire interdire la vente de tôles ondulées qui servaient de toitures aux habitats précaires dévastés par le cyclone Chido. C'est ainsi « empêcher la reconstruction des bidonvilles », comme l'exige le Premier Ministre François Bayrou, et contribuer certainement à faire disparaître la misère à nos portes. Cette décision est implacable : immédiatement, l'indisponibilité de matériaux légers anéantit la possibilité même de toute construction illégale ; à terme, l'épuisement de telles ressources étouffe l'hypothèse du refuge à tel point que peu de personnes imagineront encore en trouver ici. Il en est de la tôle ondulée comme de tout ce qui contribue au secours, de la plus étroite des alcôves en ville au moindre geste d'hospitalité, de la gratuité du soin à l'inconditionnalité de l'accueil, et ce jusqu'au navire de sauvetage : en organiser l'indisponibilité contribuera à contenir l'immigration car nul ne pourra bientôt plus voir dans notre île la promesse d'un asile, et dans la France l'horizon d'un refuge.

(L'interdiction de la vente de tôles ondulées ne vaudra évidemment que pour les personnes illégales et il reviendra donc aux commerçants de procéder aux contrôles d'identité, ce qui nécessite sans doute un surcroît de pédagogie).



Il convient en outre de faire bien entendre la dimension républicaine d'une telle décision : rendre indisponible l'habitat précaire c'est le refuser comme norme, et donc ne cesser de le considérer comme inacceptable pour quelque être humain que ce soit. Le cyclone en a fait la démonstration : le bidonville est meurtrier. C'est une politique sanitaire pour toutes et tous que nous mettrons ainsi en place, la seule politique humaniste qui vaille : rendre impensable et donc impossible le bidonville, c'est ne plus mettre en danger quiconque. Il va de soi, et il nous faudra le souligner dans un communiqué accompagnant la publication du décret, que cette décision veut aussi, et surtout, protéger les Mahoraises et Mahorais légaux : la légèreté de la tôle ondulée mal fixée en fait un projectile menaçant pour toutes et tous, sans compter que dans l'imaginaire collectif, le bidonville lui-même génère une violence que chacune et chacun veut voire éradiquée.

(Il est certes démontré que la violence est la conséquence de conditions sociales et économiques, non de l'habitat et encore moins de l'identité, mais il convient sans doute de maintenir cette dernière idée implicite dans le communiqué, tant elle est répandue : des médias ne manqueront pas d'insister sur ce point, contribuant à faire accepter notre décision par l'opinion, et notamment par les commerçants qui seront partenaires de facto de sa mise en application).



Il nous faut être conscients de l'opportunité historique d'une telle décision : rendre indisponible le refuge, c'est prolonger une politique profondément inscrite dans l'histoire contemporaine de la République. Le Ministre de l'Intérieur plaide désormais explicitement pour la restriction de l'aide médicale de l'Etat et, dans sa circulaire du 28 octobre dernier, exige des Préfets d'oser la plus grande fermeté en matière d'immigration. La doctrine en la matière s'est consolidée ces dernières années, à la force d'acteurs publics de tous bords ayant expérimenté et théorisé la neutralisation de l'accueil comme politique migratoire efficace (pour exemple, nous attachons à cette note le pionnier « guide pratique » publié le 14 juillet 2013 par le Maire de Nice Christian Estrosi pour rendre son territoire indisponible à l'occupation illégale). En outre, dans tous les milieux, y compris de gauche, nous voyons aujourd'hui se constituer une critique du secours compris comme forme d'acceptation de la misère : laisser s'étendre les abris de fortune, soutenir les collectifs d'accueil et les associations solidaires, aider au déploiement du sauvetage en haute mer, sont autant de manières de rendre acceptables des situations de précarité inacceptables. Si le bidonville représente une menace pour nombre de nos concitoyens de droite, il représente une défaite pour nombre de nos concitoyens de gauche. Laisser se reconstruire les bidonvilles de Mayotte serait immédiatement décrit comme une politique laxiste pour les uns, cynique pour les autres. Tout concourt donc à notre fermeté à l'endroit de tout ce qui pourrait contribuer à faire refuge.

( Nous savons que cette mesure d'interdiction va faire apparaître un marché noir de tôles ondulées ou de matériaux plus précaires encore, à l'instar du commerce de rafiots développé par des passeurs en Méditerranée en raison des politiques de criminalisation des navires de sauvetages. Il nous faudra donc garder sous silence cette relation de cause à effet en nous indignant bruyamment de ces commerces, sans quoi nous faudra-t-il un jour prochain appeler au développement extraordinaire de refuges sur les rivages et à la construction démultipliée de navires de sauvetage en haute mer).

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